« Quel bonheur pur, écrivait Maurice Nadeau, quelle jubilation (amère) que de tomber sur ce faux roman qui dès les premières lignes vous empoigne, puis vous secoue, vous dessille les yeux sur des réalités qu’on ne faisait que soupçonner, vous fait partager la révolte d’un homme hors du commun, mais homme au plein sens du mot. »
Après dix-sept ans de prison — il en fera vingt-six au total —, devenu célèbre grâce à son livre QHS (Quartier de Haute Sécurité), Roger Knobelspiess publie dans une indifférence quasi générale Le Roman des Écameaux, retour chez lui du détenu gracié par Mitterrand, dans cette cité des environs d’Elbeuf, en Normandie, qu’on appelle « Les Écameaux », et où il retrouve sa mère Gaby, et tout « un monde d’écrasés vivants ». Voyage terrible et éprouvant dans la misère sociale de la France de 1984.
Trente ans plus tard, rien n’a changé. Cette écriture si singulière, violente et poétique, maniée « comme une arme à fouiller le réel », nous parle toujours au présent. Knobelspiess écrit « pour prendre la réalité d’assaut ». Mais, entre ses clameurs de révolte et sa précision d’entomologiste du malheur, surgissent les blessures inguérissables de l’enfance : « Gamin, je goûtais l’ampleur du temps, mes yeux sur le ciel très haut, mystérieux, l’imaginaire inconnu des nuages m’accaparait. Ce bleu infini, la pluie les jours de pluie, des tonnes d’eau déversées. L’immense arrosoir du ciel, l’eau sur les yeux, c’était bon, je fermais les paupières, me repliais intérieurement, la nature me peaufinait, m’aimait, m’aimait. J’arrêtais le temps, je m’hébétais d’observations étranges… »
Et Nadeau de conclure : « Ô Baudelaire, ô Rimbaud, n’est-il pas l’un des vôtres ? »